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BANA CONGO
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23 avril 2008

Kinshasa : dire ou ne pas dire ?

Par Marie-France Cros

La présidence congolaise s'est fait une habitude d'infliger à Karel De Gucht, ministre belge des Affaires étrangères, des retards de plusieurs heures sur les rendez-vous convenus entre ce dernier et le chef de l'Etat. Ce comportement vexatoire remonte à une remarque faite par le chef de la diplomatie belge à Kigali, il y a quelques années, comparant le sens de l'Etat des autorités congolaises et rwandaises, à l'avantage des secondes.

La phrase de M. De Gucht avait blessé les autorités congolaises de l'époque, dont le président Kabila, alors non élu.

Mais elle avait réjoui la population congolaise : enfin, une autorité disait la vérité à propos de la classe dirigeante congolaise.

Cette population, affamée par des années de mal gouvernance, n'a en effet pas manqué d'être dégoûtée par les ronds de jambe qui furent longtemps le discours des politiciens belges au Zaïre de Mobutu : complaisance fleurie et basse flatterie avaient contribué à aggraver la gabegie mobutienne.

On sait les Flamands échaudés par cette expérience et désireux d'éviter sa répétition. C'est - outre son caractère, brutal - ce qui explique le choix de M. De Gucht de présenter aux Congolais un discours franc, discours auquel il n'a pas renoncé.

Avec raison pensons-nous. Trop souvent, les Congolais pensent avoir agi quand ils ont parlé. Qui d'autre qu'un ami de longue date, trop éloigné et trop petit pour, désormais, représenter une menace, peut les remettre sur les rails de l'action indispensable ?

S'il est normal et souhaitable que le Congo s'émancipe des tutelles étrangères, encore faut-il que cela soit le fruit d'une prise de responsabilités par ses élus et non de réactions épidermiques. Le baromètre en est le jugement de la population congolaise qui, trop souvent, se tourne vers l'étranger pour l'appeler à son secours tant est grand son manque de confiance dans les autorités locales.

Si le Congo a tenu des élections, malgré des difficultés écrasantes, il faudra encore quelques années avant qu'il devienne une démocratie : trop souvent, les élus contournent les règles démocratiques qu'ils ont adoptées pour revenir, parfois presque sans s'en rendre compte, aux comportements ancrés en eux par des années de gabegie et de dictature, par une culture de l'inégalité.

Le chemin est long et difficile.

Des bornes, de l'aide et des conseils ne seront pas superflus pour en voir le bout.

Congo/Belgique

De Gucht persiste et signe

Francis Van de Woestyne

Mis en ligne le 23/04/2008

A Kinshasa, le ministre belge des Affaires étrangères dénonce les errements du pouvoir congolais. Plus d'un an après la mise en place des institutions, l'heure est venue d'agir, juge-t-il. Et d'en appeler à s'attaquer aux privilèges de certains.

Envoyé spécial à Kinshasa

Vous savez que je n'ai pas l'habitude de mâcher mes mots..." Lundi soir, dans les magnifiques jardins de la résidence de l'ambassadeur de Belgique à Kinshasa, devant un parterre de "distingués invités" congolais et occidentaux, le ministre belge des Affaires étrangères, Karel De Gucht, a dit, sans ambages, sa façon de penser. Dans un langage peu diplomatique, jugeront certains.

Un langage franc, en tous les cas, qui, s'il a pu choquer les profiteurs du régime, a été salué mardi par ceux qui travaillent à installer une démocratie encore très précaire et ceux qui vivent chaque jour aux côtés d'une population aux prises avec la flambée des prix des produits alimentaires de base.

Des efforts, un droit

Pourquoi un discours si musclé ? Parce que Joseph Kabila l'avait fait lanterner toute la journée avant de le recevoir lui, Karel De Gucht, et les deux autres ministres belges en visite à Kinshasa, M. Pieter De Crem qui a eu le privilège de s'entretenir d'abord seul avec le Président, et M. Charles Michel ? Non, tout simplement parce que la Belgique s'est beaucoup investie depuis 2006, depuis la relance de la coopération structurelle et parce que "ces efforts, a dit M. De Gucht, nous donnent le droit de dire ce que nous pensons". Ensuite aussi parce qu'"entre amis, il n'y a pas de place pour la complaisance". Et enfin, parce que "les Congolaises et les Congolais, comme tout autre peuple, ont droit à la liberté de choisir, à la paix, à la sécurité et à la prospérité".

Pour le ministre belge, les institutions issues des élections démocratiques sont un élément essentiel mais elles ne sont qu'un point de départ. Car même si le Congo est sorti de l'"horreur des années de guerre", le gouvernement doit encore établir son autorité sur l'ensemble du territoire, a dit M. De Gucht, un territoire sur lequel on assiste encore à des soubresauts qui traduisent les frustrations de certaines composantes de la population.

Pour M. De Gucht, la situation des droits de l'homme dans le pays demeure préoccupante; "l'horreur des violences sexuelles commises dans l'est du pays est cauchemardesque". Cette situation, dit-il, résulte de l'impunité quasi totale des auteurs de ces crimes. La Belgique demande au gouvernement congolais d'accorder la plus grande attention à cette question et se dit prête à l'aider à réformer son appareil judiciaire, sa police et son armée.

Immense paradoxe

C'est au chapitre de la "bonne gouvernance" que M. De Gucht s'est montré le plus ferme. Car pour réaliser les cinq grands chantiers que le président Kabila a définis, le gouvernement congolais doit disposer des leviers nécessaires. Et pour cela, "le gouvernement doit remplir les caisses de l'Etat, reconstruire une administration compétente. Ici, a dit le ministre, la tâche est immense". Car il y a dans ce pays un immense paradoxe. Le Congo est riche, très riche en ressources humaines et naturelles. "Mais ces richesses, a regretté M. De Gucht, sont trop souvent un facteur d'instabilité, de violence et de corruption. Il faut arriver à canaliser ces richesses au bénéfice de l'Etat et du bien-être général." En effet, si ces richesses étaient exploitées correctement, les experts agricoles estiment qu'elles pourraient nourrir jusqu'à deux milliards de personnes.

Le Congo a donc tous les atouts pour devenir un pays prospère capable de réaliser en toute autonomie ses propres objectifs. Mais il faut pour cela que le pays remplisse certaines conditions. Karel De Gucht en a rappelé les termes. Le partenariat que la Belgique propose à la RDC repose sur les principes clairs de bonne gouvernance : priorité à la lutte contre la corruption, l'amélioration de la gestion, la planification, la transparence et la sécurité juridique. "Ce n'était pas possible pendant la guerre ou la transition, a concédé le ministre. C'est possible maintenant, plus d'un an après la mise en place des institutions démocratiques."

Pour être bien compris par tous, De Gucht s'est montré plus clair encore : "La bonne gouvernance, cela signifie s'attaquer aux privilèges fabuleux de certains. Il faut s'attendre à une farouche résistance de tous ceux qui n'hésitent pas à sacrifier le bien-être de la population pour leur enrichissement personnel. Ce combat n'est possible qu'avec la pleine adhésion de nos interlocuteurs congolais. Adhésion qui doit maintenant se manifester en paroles et en actes", a martelé Karel De Gucht.

Ces propos n'occupaient pas une large place dans la presse kinoise, mardi. Ils auraient pu peut-être adoucir le sort ou rendre un peu d'espoir aux Congolais exclus du système de passe-droit, de bakchich et de prébendes qui règne en maître à Kinshasa, élue capitale la plus sale de l'Afrique par un hebdomadaire local. Un seul exemple de privilège de la classe politique suffit à comprendre le désarroi des Congolais : les 500 parlementaires ont reçu récemment un splendide 4X4 estimé à 40000 dollars. Certains ont fait le calcul : pour se l'offrir, un Congolais moyen devrait travailler cent ans.

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