L'armée congolaise a progressivement repris le contrôle de la capitale. Les Kinois se sont terrés pendant deux jours. Les écoliers belges devraient quitter l'école aujourd'hui. Retrouvez en exclusivité notre entretien avec Jean-Pierre Bemba

L es événements de Kinshasa enseignent qu'il ne faut pas se fier aux apparences : à première vue, les tirs d'armes lourdes qui ont secoué Kinshasa jeudi et vendredi sont le résultat d'une opération de rétablissement de l'ordre sur le Boulevard du 30 Juin. Depuis des mois en effet, l'immeuble de fonction attribué au vice-président Jean-Pierre Bemba était devenu le repaire d'hommes en armes, originaires de la province de l'Equateur qui, à plusieurs reprises avaient terrorisé et pillé les habitants du quartier résidentiel de la Gombe. Dans le cadre du rétablissement de la légalité, il était compréhensible que cette « enclave » soit normalisée, et que les miliciens rentrent dans le rang des forces régulières. Les violences des derniers jours ne relèvent cependant pas d'une simple opération de maintien de l'ordre, mais d'une épreuve de force, à laquelle on se préparait de part et d'autre, et qui était devenue inéluctable. Le degré d'armement des forces de M. Bemba, les renforts qu'elles ont trouvé, leur capacité à élargir leur action sur un large périmètre, jusqu'à occuper presque tout le quartier résidentiel et à prendre un moment le dessus sur les forces gouvernementales démontre que ces hommes n'étaient pas de simples gardes du corps mais qu'ils se préparaient à un véritable coup de force, une « bataille de Kinshasa ».

Restait à faire exploser la bombe à retardement en essayant de contrôler les dégâts... Avec le recul, il semble que M. Bemba et ses hommes, déjà très énervés par l'ultimatum qui leur avait été adressé, ont été exaspérés par la concentration de forces gouvernementales autour de la résidence. Certains d'entre eux, portant des amulettes censées les rendre invulnérables, ont entamé jeudi matin des danses de guerre et des tirs de provocation. Il n'en fallait pas plus pour que tout s'embrase. Mais même les mises à feu soigneusement calculées peuvent déraper. Dans un premier temps, l'armée régulière fit face à une résistance plus grande que prévu, rencontrant même des défections dans ses propres rangs. La débauche de tirs à l'arme lourde, des mortiers et des roquettes tirées au jugé, faisant une soixantaine de victimes et de nombreux dégâts matériels dans la ville, démontre que l'heure des frappes chirurgicales n'a pas encore sonné. On sait que l'armée congolaise, en pleine restructuration, se compose de soldats issus des différents mouvements rebelles, brassés et formés par plusieurs pays amis dont la Belgique, l'Afrique du Sud et l'Angola et leur instruction militaire est souvent considérée comme sommaire.

Sentant le vent tourner, les hommes de Bemba ne tardèrent pas à se répandre dans d'autres quartiers de Kinshasa, la zone de la Gombe, mais aussi Barumbu, Kingabwa, Matonge, jusqu'au stade Tata Raphaël et l'immeuble de la radio télévision. Au cours de leur avancée, les miliciens n'étaient pas seuls : sans peine, ils recrutèrent des enfants de la rue, des « shegues », auxquels ils distribuèrent des armes et qui leur prêtèrent main-forte dans les pillages. Kinshasa, à peine relevée des années de guerre et d'abandon, a été meurtrie une nouvelle fois : de grands magasins d'alimentation du centre-ville (City Market, Peloustore...) ont été pillés, tout comme l'ambassade du Zimbabwe et le siège de Bravo Airlines. Contrairement à ce qu'avait d'abord affirmé Karel De Gucht, les Belges ne furent pas délibérément visés, même si certains établissements comme l'hôtel Memling ou le siège de SN Brussels Airlines furent touchés par les pilleurs. Près du grand marché, les boutiques des commerçants d'Afrique de l'Ouest ont également été pillées par des hommes en armes, d'autant plus difficiles à identifier que les uns portaient de faux uniformes militaires tandis que des miliciens avaient emprunté des habits civils pour mieux se fondre dans la population...

Après deux jours de violences, les forces gouvernementales semblent avoir pris le dessus, mais le risque de nouveaux pillages n'est pas à écarter. En effet, si les habitants des quartiers populaires ne se sont pas joints à cette « bataille de chefs » qui se déroulait au centre-ville, l'impossibilité de se déplacer pour rechercher leur gagne-pain quotidien risque de les pousser à leur tour à des actes de vandalisme...

Dans un communiqué lu à la télévision, le gouverneur de la ville a appelé les Kinois à vaquer à leurs occupations mais malgré les appels au calme, la ville, épargnée durant les années de guerre demeure traumatisée. Les bilans sont lourds : une soixantaine de morts, dont une cinquantaine de militaires, des dizaines de blessés, de nombreuses destructions...

Le bilan politique est lourd également : les étrangers sont traumatisés et beaucoup souhaitent quitter le pays tandis que si elle se confirme, la mise à l'écart de M. Bemba, qui a contribué à se mettre hors jeu, pourrait aggraver la fracture entre le régime et les 42 % de Congolais qui avaient voté pour lui.

Le soir